Pourquoi le storytelling (la communication narrative) utilisé par une marque engage-t-il les clients ? Où puise t-il sa source ? De quoi s’inspire t-il ? L’art de la narration est-il suffisant pour provoquer de l’engagement ? Pour tenter de répondre à ces questions, voici l’histoire de Liberty United ou comment transformer des armes en « instruments d’écriture ». #scarface
Quand le storytelling engage…
Commençons par la petite histoire : j’ai offert à mon fils pour ses 20 ans un stylo Roller Cross X « Liberty Edition Collector » en PVD noir poli. J’ai depuis appris que le PVD (Physical Vapor Deposition) était un procédé de métallisation emprunté à l’industrie qui donnait une teinte sombre aux pièces traitées et une plus forte résistance. Mais c’est une autre histoire.
Qu’est-ce qui m’a fait choisir ce stylo ?
C’est l’histoire que la marque raconte quand elle fait la promotion du modèle. Il est en effet fabriqué avec l’acier des armes illégales américaines confisquées, détruites, fondues, puis recyclées en bijoux et accessoires en partenariat avec l’association Liberty United.
Une partie des bénéfices est investie dans des programmes éducatifs à destination des villes touchées par la criminalité et le trafic d’armes.
Ce qui a déclenché mon adhésion à cet objet, l’acte d’achat et l’engagement qui en a suivi (écrire cet article), c’est la promesse porteuse de sens et le storytelling qui lui est associé. Mais le storytelling reste la narration efficace par laquelle la marque met en avant son produit, la méthode, l’outil de communication, le contenant. En réalité, c’est à l’aventure sociale et entrepreneuriale de Liberty United que j’ai totalement adhéré. C’est elle qui a déclenché mon engagement. Une bonne communication narrative s’inspire d’un récit puisé dans la vraie vie.
J’ajouterais la plaisir que j’ai eu à raconter cette histoire à mon fils quand je lui ai offert le roller et qu’il a découvert l’objet dans son bel écrin. Cela m’ a rappelé une interview récente de Jordan Peel pour son film Get out. Il raconte comment les spectateurs avaient tous adhéré au héros de sa fiction politique en résumant cette adhésion en ces termes :
Partager une histoire, cela nous unifie. C’est la puissance même du récit.
Une success story à l’américaine, il était une fois Peter Thum…
J’ai du coup été y voir de plus près. C’est d’abord l’histoire d’une réussite, celle d’un entrepreneur social made in USA.
En 2001, l’Américain Peter Thum crée la marque « Ethos Water » dans son appartement New Yorkais et finance des programmes d’accès à l’eau potable en Afrique en vendant des bouteilles d’eau aux Etats Unis. Starbucks fera l’acquisition de la marque en 2005.
En 2008, un jour qu’il était encore en charge d’Ethos Water pour la Fondation Starbucks, Peter Thum se trouve confronter à la prolifération des fusils d’assaut, fléau qui gangrène l’Afrique.
Lui vient alors une idée géniale : récupérer des Kalachnikov (Ak-47), les détruire, les fondre, puis les transformer en bijoux de luxe. C’est ainsi qu’il crée en 2009 la marque Fonderie 47 en référence à l’AK-47.
Depuis 2011, Fonderie 47 sera à l’origine de la destruction de plus de 70 000 fusils d’assaut en République Démocratique du Congo et au Burundi. Peter Thum se positionne alors sur le marché de l’hyper luxe et s’appuie sur la jet set hollywoodienne pour vendre ses produits.
Mais l’entrepreneur ne s’arrête pas là. En 2013, il crée Liberty United et fait la même chose que ce qu’il avait réalisé en Afrique, cette fois à partir d’armes récupérées sur le territoire américain. La promesse est claire : « Transform a gun. Help save a life ».
Chaque année, 17 000 enfants sont victimes de la violence des armes sur le territoire américain. Liberty United transforme les armes illégales en accessoires et bijoux artisanaux, et au final 25% de ses profits aideront à l’éducation et la protection d’un enfant potentiellement victime de cette violence.
Communication de marque, le storytelling de Cross
C’est dans ce contexte que Liberty United conclut des partenariats avec des fabricants d’accessoires et de bijoux comme Giles & Brother ou Pamela Love.
Parmi ces partenaires : AT Cross, le fabricant d’ « instruments d’écriture », créé à Rhode Island en 1846, par le bijoutier Richard Cross, en association avec son fils Alonzo Townsend Cross.
L’une des dernières nouveautés de Cross, née de son partenariat avec Liberty United : le Cross X Liberty United Collector’s Edition Carbon Black Rollerball Pen, le stylo que j’ai donc offert à mon fils pour ses 20 ans.
La stratégie de Content Marketing sur le site corporate de Cross est efficace et peut se résumer en quatre étapes sur une landing page aux couleurs de la marque que l’on atteint par un call to action explicite : « Our story »
1/ Promesse / Slogan (« Make your mark »)
« Make your mark » : « Laissez votre empreinte ».
Avec les valeurs d’excellence, de passion et d’abnégation que demande un travail créatif.
2/ Ambassadeurs (« The mark makers ») – Phase de découverte
Faire témoigner quatre ambassadeurs :
- un entrepreneur social (nous y retrouvons le fondateur de Liberty United, Peter Thum),
- une musicienne et compositrice,
- un artiste essayiste,
- un chanteur compositeur.
Pour chaque ambassadeur :
- un reportage photographique (en quelques images),
- une courte vidéo de 1 minute environ,
- une citation,
- le modèle de stylo utilisé par l’ambassadeur,
- un lien vers le site de l’ambassadeur (par exemple : Learn more about Kate’s story),
- une possibilité de partage sur Facebook ou Twitter (Help Kate Make Her Mark – share her story).
3/ Incitation – Phase d’engagement (« Making your mark »)
Inciter à la publication sur les médias sociaux, à « laisser son empreinte » (« Making your mark ») avec le hashtag #MAKEYOURS.
4/ Achat – Phase de décision
Un bon storytelling est-il suffisant ?
La force de Cross est dans la cohérence de sa stratégie de communication. « Make your mark » prend évidemment tout son sens dans le choix des ambassadeurs, plus encore que dans la manière de raconter une histoire. Ce n’est pas un hasard si Peter Thum est le premier d’entre eux. Le partenariat avec Liberty United , l’engagement politique qu’il suppose (agir contre la prolifération des armes et la violence qu’elle engendre) et le parcours de Thum, inscrivent la communication de Cross du côté de l’authenticité et d’une démarche citoyenne. Sans cette cohérence et le fait que le storytelling puise sa source dans la réalité du parcours de l’entrepreneur, la communication narrative ne serait qu’un prétexte, une méthode de mise en récit de bonne facture, pas plus. Du coup, elle susciterait moins d’engagement.